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Photo du rédacteurStéphane Aucante

"Jérusalem 48", un livre collectif à découvrir bientôt

Loïc Le Clerc, journaliste à Regards, m'a demandé de participer à un livre collectif dont le titre est "Jérusalem 2048" et qui va paraître à l'occasion des 75 ans de l'état d'Israël - et donc aussi de la Nakba, (la "catastrophe" en arabe), c'est à dire la fuite de milliers de palestiniens loin de leurs maisons et de leurs terres.


Pour ce projet, j'ai rejoint d'autres auteur.es tel.les que Esther Benbassa, Anwar Abu Eisheh, André Rosevègue, Jo Mrelli, Rafael Tyszblat, Simone Susskind ou encore Alain Gresh. Très honoré de me retrouver parmi eux.


Tous, mais chacun d'une manière personnelle, nous avons dû répondre à cette question : comment imaginez-vous #Jérusalem en 2048, c'est à dire, cette fois, à l'occasion du centenaire de l'état d'Israël (ou pas...)


Nos réponses seront à découvrir à partir du 23 mai, dans un très beau recueil édité par Les éditions Arcane 17 (et disponible dès ces jours-ci auprès de moi au prix de 10 euros port compris).


Pour les impatients, voici commence ma réponse (qui s'intitule "Trop tard") :


"Chaque jour, le même franc rayon de soleil le réveille. La lumière tombe en oblique d’un des vitraux de l’église, sans que Wajdi n’ait jamais réussi à savoir duquel. Il baille, s’étire, secoue trois fois les longs cils de ses yeux, puis se redresse en arquant en même temps ses genoux. Il sent alors dans tous ses os combien la dalle est dure sous le pauvre matelas qui lui sert de couche. Il aurait pu l’installer dans la chapelle de l’Invention de la Vraie Croix, là où un peu de terre meuble affleure, mais en vrai descendant d’une famille venue du désert pour se fixer à Al-Quds sous Saladin, il trouve qu’il y fait trop frais — ce qui est un comble en ces temps où toute fraîcheur a quitté les trois quarts du globe. Ces temps ont réellement commencé en l’an 2028, celui qui ne fut qu’un torride été…


La même année, Wajdi Nuseibeh, fils de Wajeeh, a élu domicile au pied de la colonne la plus isolée du chœur Sainte-Hélène, à mi-chemin de deux escaliers. Entre l’un, étroit, qui mène à ce qui reste de la carrière du Golgotha et l’autre, plus large, qui conduit à l’étage principal du sanctuaire, il passe un courant d’air agréable, même au pire moment de la journée. Et les journées sont longues pour celui qui n’a pas fui sa ville et continue à ouvrir et fermer la porte de bois clair du Saint-Sépulcre, comme son père, son grand-père, et nombre de ses aïeux avant lui,


L’ouvrir et la fermer pour qui ? Quels pèlerins ? Quels touristes ? Ni lui ni Saïd Joudeh, fils de Adeed, le gardien des clés de la porte, ne le savent plus. Mais ils s’en moquent et en rient, sans bruit, en jouant tout le jour aux échecs ou aux chevaux là où dort Wajdi. Saïd et son épouse Sama occupent, eux, la chapelle de la Sainte-Prison, et pas question d’y jouer ou d’y boire un thé de terre en bavardant, car, depuis la Grande Sécheresse — l’autre nom de l’an 2028 — et le début de l’Âge de Feu, Sama ne se lève plus et gémit quand elle ne pleure pas. Même en dormant elle gémit. Et jamais elle ne donnera d’enfant à Saïd. « A quoi bon de toute façon ? » dit souvent le gardien des clés à son ami Wajdi.

Pour l’heure, la table à jouer est glissé sous la couche et il est temps de se lever. Une fois sur ses pieds, Wajdi a le réflexe ancien de vouloir inaugurer sa journée en allant se laver. Il croit même entendre sa mère lui lancer, comme chaque matin jusqu’à ses trente ans : « Wajdi, la nuit t’a sali, va te rincer je te dis ». Mais l’eau est devenue un bien si rare, si précieux, qu’un rapide gant de crin humide passé sans se dénuder sur sa peau rêche n’est possible que chaque vendredi, avant la grande prière. Dieu qu’il a fallu batailler longtemps avec les derniers religieux du sanctuaire, Paul le prêtre venu de France, Konstantinos aussi barbu qu’un mollah, Viken qui empeste le papier d’Arménie, le jeune Charbel dont le prénom, en syriaque, veut dire « visage de Dieu », Chenouda descendant d’une lignée de papes coptes, et Rasta l’éthiopien a la peau plus noire qu’une olive d’avant, oui, batailler, ferrailler, fulminer, pour qu’eux tous acceptent que Wajdi et Saïd prient Allah à l’intérieur de l’église."


A suivre à partir du 23 mai.




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